Être un homme, exercer son pouvoir. Discours et pratiques de prostitutions à Montréal

L'ampleur grandissante de la traite des êtres humains a motivé en 2009 le CATHII à financer une recherche sur les hommes prostitueurs à Montréal. Dans les débats et les recherches sur la prostitution il existe peu de compte rendu des expériences et du point de vue des hommes. Cette invisibilité et ce silence sont relatifs. En effet, ce sont les hommes qui sont les prostitueurs, les proxénètes, les propriétaires des bars de danseuses, des salons de massages et les chauffeurs. Ce sont eux qui organisent la prostitution des femmes et ce sont eux qui en sont le moteur, qui prostituent les femmes. Cette recherche a permis de mettre en relief certains faits saillants qui donnent des pistes d'action pour lutter contre la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle et penser le rôle des hommes en tant que responsables de l'expansion de la traite et de l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants

Les hommes prostitueurs qui ont participé à cette recherche sont allés dans les bars de danseuses aussi tôt qu’à 14 ans. Ce n’est pas du jour au lendemain (à 18 ans) que les groupes de jeunes hommes se retrouvent dans les bars de danseuses du Québec. Fréquenter les bars de danseuses dès le secondaire ou le cégep a été pour ces hommes une activité incontournable, une expérience de leur âge. Huit de ces onze hommes ont vécu leur première relation sexuelle dans la prostitution alors même que certains étaient mineurs. Ces hommes qui fréquentaient tous un établissement scolaire lors de leur première expérience avaient déjà banalisé les lieux de prostitution tels que les bars de danseuses. Leur fréquentation des bars de danseuses s’organise ainsi à l’école entre camarades de classe.

Les bars de danseuses sont une formation à d’autres types de prostitution, une étape dans les pratiques de prostitution des hommes rencontrés. Les prostitueurs de cette recherche soulignent tous que faire danser des femmes (comprendre les « prostituer ») n’est pas une expérience plaisante: le temps compté, la surveillance, les limites à respecter, tout cela contribue au constat que ces femmes ne sont pas totalement à eux. Les salons de massage et les escortes leur permettent d’établir plus sûrement leurs propres règles.

Cette recherche montre également que ces hommes qui ont prostitué des femmes lorsqu’ils étaient mineurs, n’ont jamais cessé, dans leur vie d’adulte, de faire appel à la prostitution pour vivre leur sexualité. Les informateurs sont des prostitueurs réguliers et vivent la majorité de leur vie sexuelle dans la prostitution.

Cette régularité de la prostitution des femmes dans la vie de ses hommes se déroule sans embage, bien que conscients d’être hors-la-loi, aucun ne se sent criminels. Pour eux, la prostitution est une activité normale qui devrait être légale. Prostituer des femmes est une activité qu’ils ne questionnent jamais en terme de criminalité. D’ailleurs le fait qu’ils n’aient quasiment jamais été arrêtés par la police les confortent dans leur croyance. Pour eux, la loi qui criminalise la prostitution est obsolète et traduit un manque d’ouverture d’esprit.

La prostitution des mineures n’est pas plus problématique à leurs yeux. Bien qu’ils se prononcent unanimement contre la prostitution des mineures, ils pensent tous avoir possiblement prostituer des mineures.

La recherche montre également que la sexualisation du racisme est une dimension importante des pratiques de prostitution des hommes rencontrés. Prostituer des femmes asiatiques, des femmes noires, des femmes russes est une pratique distincte et choisie et non le fruit d’un hasard. Les hommes prostituent ces femmes parce que selon eux elles leur permettent de vivre des expériences précises : les asiatiques sont dites « soumises », les noires, « chaudes », etc. Le racisme, au même titre que le sexisme organise la prostitution. Les pratiques de prostitution de femmes racisées doivent se comprendre au Québec dans le contexte d’une traite des femmes interne mais également internationale grandissante. Sans aucun doute la prostitution est intimement liée à la traite des femmes.

Enfin, tout au long des entrevues les hommes prostitueurs rencontrés ont souligné que payer était une dimension importante de leur activité. Payer est sans conteste le pouvoir le plus tangible qu’ils ont sur ces femmes. Payer leur garanti de ne pas être rejeté, de ne pas être jugé et d’obtenir à plus ou moins long terme les actes et comportements sexuels qu’ils veulent (et qu’elles ne veulent pas toujours). Pour les hommes prostitueurs de cette recherche payer les dédouane de la violence qu’ils exercent sur ces femmes.

Écouter les hommes prostitueurs parler de leurs pratiques de prostitution peut être déroutant tant leurs expériences diffèrent de celles des femmes qu’ils prostituent. Alors que toutes les recherches sur la prostitution montrent à quel point la violence y est présente, notamment la violence physique, celle-ci est complètement absente du discours des hommes. L’assymétrie de ces discours et de ces réalités doit toujours être gardé à l’esprit lorsque l’on travaille à lutter contre l’exploitation sexuelle.

Il est important de recueillir le discours des hommes qui prostituent des femmes si l’on veut penser mettre un terme à la prostitution. Cette recherche permet ainsi d’affirmer qu’en même temps qu’il faut permettre aux femmes de sortir de la prostitution, il faut permettre aux hommes de ne pas penser la prostitution comme un acte incontournable de leur sexualité, un acte banal que leur impose leur masculinité.

 

Année de publication: 
2009